Chapitre 11
L’Embodiment top-bottom
ou
L’influence de l’effet idéomoteur sur le corps, la posture et le langage corporel
L’effet idéomoteur peut-il avoir un effet sur la posture du patient ?
Évidemment cela n’est pas systématique, mais si je vous demandais d’imaginer une de vos connaissances qui est particulièrement peu sûre d’elle, quelle est sa posture ? Genre la tête dans les épaules, un peu recroquevillée sur elle-même ?
A l’inverse si vous pensez à une de vos connaissances qui est particulièrement sûre d’elle, quelle est sa posture ? Les épaules en arrière, le torse bombé, la tête décollée des épaules ?
Ces 2 postures « cliché » pourraient-elles être l’expression d’un effet idéomoteur chronique d’un état émotif d’introversion/extraversion qui augmenterait le tonus musculaire des rotateurs internes et fléchisseurs du tronc dans le premier cas et rotateurs externes et extenseurs dans le second ?
Si vous prenez quelques minutes pour faire l’expérience suivante:
Pensez à des situations accablantes, déprimantes, difficiles, pesantes, qui échappent à votre contrôle qui donnent cette sensation de ne plus pouvoir lutter. Laissez cet état d’esprit imprimer votre corps. Notez les changements au niveau de votre posture. Vous rendez vous compte d’un affalement ?
A l’inverse, imaginez-vous battant, affrontant toute situation, étant en contrôle, revivez un moment où vous étiez particulièrement fier d’un accomplissement… Quelle est votre posture à présent ? Votre posture s’est redressée ? le torse bombé ? épaules en arrière, menton relevé ?
Que pensez-vous que puisse être l’effet idéomoteur chronique d’un état constant de complexe d’infériorité ? et à l’inverse, l’effet idéomoteur chronique d’un état d’esprit en constant complexe de supériorité ?
L’augmentation chronique de ce tonus musculaire va modifier au fil des années leur qualité vers une hypertrophie puis une fibrose afin de tendre vers l’économie énergétique. La fonction agissant sur la structure, il est évident que des années à rester affalé ou à se tenir droit ne vont pas avoir la même influence sur le squelette (par le réarrangement des trabéculations osseuses) et les contraintes mécaniques au niveau des articulations et tissus mous ne seront pas les mêmes. La fonction et la structure sont inter-dépendantes.
Un exemple de cabinet qui n’a aucune valeur scientifique:
Une jeune patiente vînt un jour me voir pour des douleurs cervicales. Je constate une irritation facettaire dans un contexte d’affalement de la posture et donc une exagération de ses courbures antéro-postérieures (lordose/cyphose). Je travaille donc sur les trois diaphragmes, au niveau viscéral, et un peu de structurel pour changer la patiente au niveau postural.
Deux semaines plus tard elle me dit : » il n’y a aucun changement. » Et effectivement sa posture était strictement identique.
Etonné du « aucun changement » et ayant noté un certain fatalisme de la patiente et commençant à cette période à explorer l’effet idéomoteur, je lui demandais :
ostéo : _Si vous pensez à quelqu’un que vous connaissez qui est sûr de lui/elle, qui sait ce qu’il/elle veut dans la vie, pouvez-vous me décrire son attitude, sa posture ?
Patiente (tout en mimant ce qu’elle décrit): _Il est droit dans sa posture, les épaules légèrement en arrière, le torse en avant, la tête décollée des épaules…
Ostéo :_Très bien et si vous deviez décrire une de vos connaissances peu sûre de soi, introvertie, ou inscrite dans une certaine passivité ?
Patiente (reprenant sa posture initiale): _ Ben, plutôt affalée la tête dans les épaules, le dos voûté, les épaules rentrées…
Ostéo :_Pensez-vous que votre état d’esprit puisse avoir une influence sur votre posture et sur les symptômes que vous pourriez ressentir ?
Patiente : _…
L’influence de l’effet idéomoteur sur le langage corporel
L’effet idéomoteur va créer une hypertonicité musculaire qui aura logiquement un rôle d’inhibition des muscles antagonistes (voir expérience des réflexes facilités). On pourrait appeler les conséquences de cette inhibition une hypotonicité musculaire.
Ce phénomène pourrait bien expliquer l’influence de l’effet idéomoteur sur le langage corporel.
Si vous êtes dans un état d’esprit dont l’effet idéomoteur active certains groupes musculaires alors il y aura une inhibition des muscles antagonistes.
Les mouvements allant dans le sens de l’hypertonicité vont ainsi être facilités et donc plus nombreux, plus amples plus rapides, plus maintenus que les mouvement allant vers l’hypotonicité.
Une personne sur la réserve croisera plus facilement les bras (en rotation interne) ou fera des mouvement restreints à faible fréquence alors qu’une personne enthousiaste/extravertie sera plus dans la rotation externe, l’amplitude de ses mouvements[1].
L’introvertion, pudeur, gêne, timidité
Certaines patientes (tendance féminine) peuvent avec un thérapeute masculin ressentir une certaine gêne due au fait de devoir se retrouver en partie dénudée.
L’effet idéomoteur de cette émotion de pudeur va avoir pour effet d’augmenter la tonicité des muscles rotateurs internes et adducteurs au niveau des membres inférieurs et des membres supérieurs afin de « protéger » les parties intimes. Un ostéopathe peu à l’écoute de ces signaux pourrait alors en conclure qu’il y a des tensions musculaires à travailler là où il n’y a qu’effet idéomoteur. Imaginez la gêne psychologique occasionnée si l’ostéopathe bondit alors sur un muscle obturateur qu’il pense contracté …
Pour parer à ce problème, dés l’anamnèse ou dès la lecture du langage corporel de la patiente, l’ostéopathe devrait évaluer la disposition de la patiente à devoir se déshabiller et lui demander d’enlever un minimum de vêtements (par ex: garder son pantalon si elle a un problème de cervicales dans un premier temps, puis si nécessaire alors lui demander de l’enlever par la suite).
Avoir recours à une couverture peut aussi être très efficace, la patiente se sent réconfortée, désinhibant partiellement cet effet idéomoteur lié à la pudeur facilitant ainsi l’examen et le traitement.
L’extraversion, exhibition, l’excès de confiance en soi
À l’inverse un patient trop sûr de soi avec un léger complexe de supériorité sera souvent dans la rotation externe avec des membres au tonus musculaire faible. On pourra parfois noter une position en extension de la tête au repos, non causée par une cyphose thoracique. De façon naturelle il aura tendance à s’allonger en décubitus avec les mains sous la tête et les jambes écartées largement en rotation extérieure.
Voici quelques autres expériences qui montrent l ‘étendue des effets idéomoteurs ou devrait-on dire de l’embodiment up-bottom :
Quelques exemples de recherches d’embodiment top-bottom
La projection temporelle
Cette recherche assez récente évaluait l’influence de notre projection mentale dans le temps. Le résultat fût que se projeter vers le futur tend à nous faire pencher en avant, alors que penser au passé nous ferait pencher en arrière ![2]
Difficile de ne pas faire un lien prudent avec le schéma corporel des types antérieurs et postérieurs. On pourrait imaginer que des processus cérébraux plus actifs dans la projection future ou passée soit souvent sollicités.
Savoir qu’un objet est important donne l’impression qu’il est plus lourd
Dans cette expérience curieuse [3], Iris K. Schneider a voulu savoir si le fait de suggérer qu’un livre contenait des information importantes ou non influençait le jugement que l’on avait sur son poids.
Les cobayes à qui il suggérait l’importance des informations avaient tendance à faire une estimation plus importante du poids du livre lorsqu’ils le soulevaient.
Il y a donc une perception physique de cet excès de poids.
Dans la continuité,
Porter un secret nous alourdit
Le terme « porter un secret » serait en fait beaucoup plus physique qu’il n’y paraît.
Dans une série de 4 expérimentations, M.L. Slepian aurait démontré que le fait de penser à un secret important aurait une influence sur notre jugement d’évaluation de distance ou de pente qui est alors vue à la hausse.
De même que se répéter ce secret augmente l’évaluation de l’effort physique qu’il faudrait fournir pour accomplir une tâche.
Et enfin les personnes qui portent un secret seraient moins enclines à aider quelqu’un à accomplir une tâche physique[4].
La conclusion de Slepian est : « En somme, les secrets importants notamment ceux concernant l’infidélité ou l’orientation sexuelle affectent les individus dans un grand nombre de domaines comme si ils étaient physiquement plombés. »[5]
Il est difficile de ne pas s’imaginer une posture d’affalement associée à cet état d’esprit de poids qui nous plombe.
Difficile aussi de ne pas agrandir au seul terme de « secret » des notions de stress, de responsabilité que l’on arrive plus à assumer, de harcèlement morale, de situations sociales/familiales compliquées que l’on arriverait pas à verbaliser, à exprimer où que l’on verrait sans issues.
Mais révéler un secret nous allège !
Cette autre recherche de Slepian est dans la continuité de la précédente. Est-ce que partager un secret qui nous pèse nous allège-t-il ?
La réponse est oui[6].
D’où très certainement l’importance au niveau thérapeutique lorsqu’un patient se libère d’un encombrement émotionnel.
La tristesse et la dépression se lit sur notre démarche
Dans cette recherche-ci[7] les auteurs remarquent que des personnes tristes et/ou déprimées font de plus petits pas, que les mouvements de leur bras et verticaux de la tête sont moindre, qu’ils se balancent plus d’un côté à un autre et que leur posture s’affale.
Quelles sont les hypertonicités musculaires qui s’installent chez ce type de patient ? Quelles sont les contraintes tissulaires issues d’un tel L’affalement ? que retrouve-t-on au niveau palpatoire ?
La menace sociale nous pétrifie
Dans cette recherche[8] il aurait été démontré que les humains (les femmes en l’occurrence 😉 comme les animaux a tendance à se pétrifier lorsqu’ils font face à des situations de menace. Cette diminution de balance corporelle est aussi associée à une diminution du rythme cardiaque et à un état d’anxiété.
On peut fortement soupçonner que cette pétrification se fait par une augmentation de tonus musculaire général du corps.
D’ailleurs quel est généralement la qualité du « rythme crânien » de ces femmes particulièrement stressées que l’on voit en cabinet ? Libre et ample ou plutôt étriqué, serré, bloqué ?
En ostéopathie nous nous efforçons d’essayer de trouver la lésion primaire en nous bornant au corps physique, alors qu’il paraît évident que le psychologique, entre autre par l’effet idéomoteur, peut avoir un effet important sur le tonus musculaire et sur la posture et donc in fine sur les tensions et douleurs musculo-squelettiques du patient.
Il devient alors illusoire d’espérer une amélioration notable ou durable de certains symptômes de patients en ayant recours qu’à de simples manipulations ostéopathiques, si une cause psychologique primaire en est la cause.
Cependant les manipulations ostéopathiques physiques pourraient avoir une influence sur la psychologie de l’individu. Pour comprendre comment, nous verrons plus loin la seconde face de ce phénomène d’embodiment, le côté « bottom-up ». Mais avant d’aller plus loin dans ce qui pourrait donner une perspective intéressante à l’ostéopathie crânienne et fasciale
[1] Michael Neff, Yingying Wang, Rob Abbott, and Marilyn Walker, Evaluating the Effect of Gesture and Language on Personality Perception in Conversational Agents, 2010
[2] Lynden K. Miles, Louise K. Nind, C. Neil MacRae, Moving through time, Psychological Science February 2010 vol. 21 no. 2 222-223
[3] Iris K. Schneider, weighty matters importance literally feels heavy, Social Psychological and Personality Science September 2011 vol. 2 no. 5 474-478
[4] Michael L. Slepian, E. J. Masicampo, Negin R. Toosi, Nalini Ambady, The Physical Burdens of Secrecy, Journal of Experimental Psychology Février 2012
[5] traduction de : « In sum, important meaningful secrets, including those regarding infidelity and sexual orientation, affected individuals across numerous domains, as if they were physically burdened, »
[6] Michael L. Slepian, E.J. Masicampo, Nalini Ambady, Relieving the burdens of Secrecy, Revealing Secrets Influences Judgments of Hill and Distance, Social Psychological and Personality Science August 5, 2013
[7] Michalak J, Troje NF, Fischer J, Embodiment of sadness and depression–gait patterns associated with dysphoric mood,Juin 2009 psychosom Med.
[8] Karin Roelofs, Muriel A. Hagenaars and John Stins, Facing Freeze, Social Threat Induces Bodily Freeze in Humans, Psychological Science November 2010 vol. 21 no. 11 1575-1581
Un mécanisme n’est pas un mouvement 🙂 http://partenairesilencieux.com/post/111551494765/un-mecanisme-nest-pas-un-mouvement
Bonsoir,
Un autre article dans la même idée.
Bonne soirée,
Jules
Vitalisme et ostéopathie
Un lien, peut-être intéressant pour ajouter au débat. Si quelqu’un retrouve ce fameux article je prend. Merci
http://www.sudouest.fr/2015/10/06/tonneins-deux-osteopathes-mettent-le-doigt-sur-les-mouvements-du-crane-2146179-3887.php
Merci Fibulafloor pour ce lien,
Effectivement si qqu’un à un lien vers l’article en question…
Des questions restent alors en suspend :
1. 50microns ou alors 0,05mm avec une variation sur 5 secondes d’expansion cela fait une capacité de discernement de mouvement de 0,01mm par seconde. J’étais loin de me savoir si fort en palpation (c’est tout de même à peu près la taille d’une bactérie…)
2. Ressentir ce mouvement à travers les cheveux et cuir chevelu sans un contact direct avec le crâne ? sachant qu’un cheveux fait à peu près 0,1 à 0,05mm et au vu de la compressibilité d’une masse de cheveux, on ressentirait alors ce mouvement à travers un énorme coussin qui amortit (càd qui dissipe dans le temps une force/mouvement), ne parlons pas non plus du mouvement de la tête du patient en fonction de son rythme cardiaque et respiratoire, Impressionnant !
3 même si ce mouvement existait, comment expliquer que remettre un os en place de 0,05mm soignerait une sciatique ???
4. Même si il existait un mouvement (et pourquoi pas ) pourquoi ne pas d’abord étudier des effets connus (effet idéomoteur/carpenter ) avant de chercher des explications capillotracté ?