L’Ostéopathie se veut-être un mélange entre une science et un art.

Une science par le fait que l’ostéopathe se base sur ses connaissances anatomiques, physiologiques et pathologiques pendant ses traitements. Et un art par le fait que l’ostéopathe doit tirer un maximum d’objectivité de la subjectivité de ses sensations et de ses expériences passées. Ce qui fait la qualité de l’ostéopathe ce n’est étonnamment pas ses connaissances « scientifiques » qui sont relativement similaires entre chaque ostéopathe mais bien l’intégration artistique qu’il tire de ses connaissances et de ses sensations palpatoires lors du traitement et à sa capacité à offrir un traitement des plus adaptés à ce patient, à ce moment-là.

L’équilibre entre la capacité de diagnostic et la capacité thérapeutique:


Cet équilibre est fondamental pour toute thérapie qui se veut être sérieuse. Cet équilibre est une manière originale de poser un regard critique sur les différentes thérapies qui peuvent exister.

En fait une thérapie se doit d’avoir plus de capacité de diagnostic que de capacité thérapeutique:

C’est à dire que pour chaque acte thérapeutique il doit au moins exister un test (ou plus) de diagnostic qui valide que cet acte est nécessaire. Mais il faut aussi qu’il existe des tests de diagnostic qui délimitent la capacité thérapeutique de cette thérapie.

Ainsi si une thérapie possède beaucoup de capacité thérapeutique mais peu de capacité de diagnostic, alors le thérapeute ne pourra pas savoir quelle technique utiliser ou quel traitement effectuer. Son traitement sera alors un pur hasard. Cette thérapie est limitée par sa capacité de diagnostic.

A l’inverse, si une thérapie possède de nombreuses méthodes de diagnostic mais peu de méthode de traitement, alors cette thérapie tend vers un traitement unique qui traite tout. Cette thérapie sera limitée par sa capacité thérapeutique.

Exemple:

Le but de ces exemples n’est pas de « descendre » telle ou telle thérapie, mais d’apporter une critique intéressante, libre ensuite au thérapeute de se sentir offusquer ou de se permettre une certaine introspection objective sur la manière dont il pratique.

Ex 1: La partie acupuncture de la Médecine Traditionnelle Chinoise:

Il existe près de 360 points d’acupuncture sur nos méridiens sans compter des points plus récents qui amène ce compte à près de 2000 points. Mais contentons-nous des points plus couramment utilisés soit 360. Lors d’un traitement l’acupuncteur va planter une dizaine d’aiguilles. Sachant que c’est une thérapie holistique chaque point devrait être considéré comme potentiellement utilisable pour un traitement. Ainsi nous obtenons 360! / 350! combinaisons de traitements possibles. Soit 360x359x358…x350 = 3,22 x 10^25 différents traitements possibles différents. Les capacités thérapeutiques sont donc tout à fait considérables avec 32 200 000 000 000 000 000 000 000 de traitements différents possibles cela sans compter les 1600 points supplémentaires et sans y ajouter la partie herboristerie de la Médecine Traditionnelle Chinoise.


Mais qu’en est-il de la capacité de diagnostic de l’acupuncture ? nous allons essayer de l’évaluer…

l’acupuncteur va poser une dizaines de questions sur lesquelles 10 possibilités de réponses sont possibles. Il va palper le pouls sur les 4 membres à 3 niveaux de pressions différents. En fonction de la couleur ou texture de la langue, des yeux et des joues cela va aussi influencer le traitement, nous allons définir 10 tons de couleurs différents soit une capacité de diagnostic:

10^10×3^4×10^3= 8,1 x 10^14 Ce résultat est absolument considérable. Ce résultat considère que si le patient est plutôt fatigué le soir, qu’il a les yeux blancs le teint rose pâle, et les pouls identiques le traitement sera radicalement différent que si il est plutôt fatigué l’après-midi qu’il a les yeux blanc et le teint rose et les pouls identiques. C’est à dire que la capacité de discernement du thérapeute deviendrait alors absolument phénoménal.

Si l’on divise à présent les 2 résultats 3,22 x 10^25/8,1 x 10^14= 3,9 x 10^10

C’est à dire qu’il existe plus de 39 000 000 000 traitements différents pour un même résultat de diagnostic. Lequel choisir ???? Vous avez bien plus de chance de gagner le jackpot du Loto que de recevoir ou d’offrir le traitement idéal.

Ce résultat ne prends en compte que 360 points d’acupuncture et non 2000. L’herboristerie n’y est pas incluse. Car les plantes que va donner le thérapeute vont aussi être fonction du même diagnostic et vont elles aussi augmenter de manière significative la capacité thérapeutique alors que la capacité de diagnostic reste elle inchangée…

Ex 2: La médecine moderne allopathique:

La médecine moderne se veut scientifique. Elle possède de nombreux outils de diagnostic: prise de sang, IRM, scanner, échographie, Xray, ponction lombaire, prise de tension artérielle, anamnèse, spiromètre…. Et les méthodes de traitements sont aussi nombreuses, chirurgie, chimiothérapie, médicament, thérapie génique, sthène, et elle va être aidée par d’autres thérapeutes (orthophonistes, kinésithérapeutes, sage femme, psychiatre…). L’équilibre à première vue semble être respecté. Et « étrangement » cette médecine est assez efficace.

Cependant que se passe-t-il lorsque vous allez voir votre médecin pour une infection pulmonaire? Votre médecin vous fait-il un prélèvement de glaire afin de savoir quelle est exactement la bactérie qui est responsable pour votre infection ou vous donne-t-il un antibiotique à large spectre ? Et lorsque vous souffrez d’hypertension n’est-il pas courant que votre médecin « cherche à tâtons » quel traitement vous correspond le mieux tout en restant dans les doses conventionnelles (5mg, 10mg 25mg …)? Si le diagnostic était assez poussé, et que l’on comprenait exactement comment votre propre corps fonctionne, réagit et métabolise les médicaments et quelle est la raison précise de votre hypertension, il deviendrait alors aisé de trouver du premier coup le traitement exactement adéquate (par ex 4mg de X le soir,7,5mg de Y le matin 10 min avant le petit déjeuner, et 7,2 mg de Z un jour sur deux pendant le déjeuner sauf le jeudi). Mais cela deviendrait très, très compliqué car le domaine thérapeutique est excessivement vaste.

Ex 3: L’Ostéopathie:

Il va être difficile pour l’auteur d’être objectif envers sa propre thérapie mais tâchons d’essayer.

L’Ostéopathie se vente d’être une thérapie holistique mais c’est en fait une « thérapie manuelle mécanique holistique ». Son domaine d’application n’est pas directement chimique mais mécanique avant tout. Ainsi son domaine thérapeutique est assez réduit, à savoir la mécanique fonctionnelle du corps. Cependant n’oublions que la mécanique peut influer sur la fonction.


L’ostéopathe pendant son traitement ne corrige pas tout, il va tester et s’efforcer de trouver les « hypo-mobilités » tissulaires, les tensions et les restrictions mécaniques fonctionnelles. De part le type de la dysfonction il devrait pouvoir identifier quelle technique utilisée. Sa main offre un constant feedback sur la réaction tissulaire du patient et cela permet de rectifier la force et la direction du geste tout cela en temps réels! Tous les tissus du corps ou presque peuvent être ainsi diagnostiqués et travaillés mécaniquement puis re-testés.

L’anamnèse et des tests médicaux peuvent l’aider dans ses diagnostics médicaux et diagnostics ostéopathiques et lui permette de délimiter sa pratique. Tester la présence d’un anévrisme aortique abdominale, prendre la tension, tester les réflexes, la présence d’une fracture, palpation des ganglions lymphatiques etc… Si certains de ces tests se révélaient positifs, il serait alors préférable de renvoyer son patient chez un médecin.

Par conséquent il semble qu’en ostéopathie il y ait un certain équilibre entre la capacité de diagnostic et la capacité thérapeutique, ce qui est plutôt positif.

Par contre son champs d’action est limité à savoir la mécanique du corps et l’un de ses principales défauts tout comme de l’une de ses principales qualités provient de l’absence de protocole. Le traitement dépend donc énormément de la subjectivité de l’ostéopathe.

L’approche scientifique protocolaire et ses limites:

1. La médecine allopathique protocolaire:

La médecine se devant être scientifique, s’est donc pris au jeu des protocoles. Un protocole est un ensemble de règles qui définit le champs d’action et la manière de réagir en fonction d’un « prévu » ou d’un imprévu. C’est en respectant un protocole que l’on peut prouver si la technique X ou le médicament Y est efficace ou non.

De plus ce protocole permet d’être répété par d’autres chercheurs ou thérapeutes qui auront statistiquement la même efficacité. Pour tester un médicament avec un bilan sanguin à l’appui, un protocole est fantastique car le résultat est objectif et répétable. On va pouvoir tester le médicament contre l’effet d’un placebo et en fonction du nombre de participants et de la différence d’amélioration entre les 2 groupes on pourra en déduire si le médicament testé est efficace de manière significative. Plus le nombre de participants et plus l’écart d’amélioration entre le placebo et le médicament sont importants plus l’efficacité est prouvée de manière significative.

Au final votre médecin se voit recommander une approche protocolaire pour traiter telle ou telle pathologie.

Mais cette approche à première vue irréprochable et évidente est en fait semée d’embuches pour d’autres thérapeutiques et prive la médecine de l’effet placebo. car l’efficacité de l’effet placebo est du coup ignoré alors que cet effet placebo pourrait soigner là où la molécule active ne le peut pas ! voir article sur « effet placebo dans les thérapies alternatives »

2. Tester les anti-douleurs devient plus délicat:

En effet pour évaluer l’efficacité d’anti-douleurs cela devient plus délicat car toute la recherche doit se baser sur l’avis du patient. Sachant que la notion de douleur est très subjective, elle est donc très influençable par la façon dont sont posées les questions. Elle varie aussi largement en fonction de l’alimentation et de l’activité du sujet pendant la recherche qui elle peut s’étaler sur plusieurs semaines. La répétabilité de ces expériences devient assez difficile. Le nombre de recherches nécessaires pour valider l’efficacité d’un anti-inflammatoire doit donc être augmenté. De plus si un anti-inflammatoire est efficace pour diminuer la douleur d’un mal de dos, est-ce aussi vrai pour une douleur de genou ? ou de poignet ? Est-ce vrai pour un problème aigu ou chronique?

3. La kinésithérapie pris au piège par les protocoles:

Pour pouvoir travailler main à main avec le domaine médical la kinésithérapie a dû adopter et a évolué avec cette approche protocolaire. De ce fait plusieurs problèmes ont émergé:

-La kinésithérapie ne rapporte de l’argent qu’au kinésithérapeute contrairement à une industrie pharmaceutique qui engrange des millions. Ce qui implique que la recherche est beaucoup moins financée en kinésithérapie car une recherche fructueuse ne rapporte pas d’argent.

-Une des activités importantes des kinésithérapeutes est de  s’occuper de douleurs musculo-squelettiques. Comme nous l’avons vu précédemment ces recherches sont difficiles car très subjectives. Les recherches se heurtent donc à une répétabilité peu fiable. Il faut donc attendre des années avant l’arrivée de méta-analyse qui passe en revue toutes les recherches similaires et qui valident ou non une approche thérapeutique.

-Les approches sont nombreuses et peuvent s’avérer compliquer, par ex: pour un mal de dos faut-il : masser, si oui où? combien de temps et combien de fois par semaine, donner des exercices, lesquels ? dans quel ordre? combien de fois par semaine? pendant combien de temps? faut-il appliquer du froid ? du chaud? pendant ?… etc… Les combinaisons possibles de protocoles différents deviennent vite incalculables et la recherche avance donc doucement.

-L’apparition des machines devient donc logique car elle permet une simplification des protocoles. ex: coller les électrodes sur le carré des lombes et régler la machine « beep-2 » pendant 20min sur l’intensité 2 et cela 2 fois par semaine.

-Afin de simplifier les protocoles, il y a une uniformisation des symptômes. Une douleur en regard de la 12ème côte ou une douleur de sacro-iliaque est un mal de dos et ne sera pas différenciée dans le protocole.

Tous ces facteurs enkystes véritablement le développement de la kinésithérapie.

4. L’ostéopathie une thérapie anti-protocolaire:

L’ostéopathie s’est développée de manière empirique et n’a pas subi de freins par la recherche car il n’en y en a pratiquement pas. Cela a permis un développement rapide et au « feeling » de l’approche ostéopathique. Le patient est un individu à part entière et son traitement est adapté à son propre cas. Mais cela n’a pas que de bon côté car de nombreux « folklores ésotériques » ou de croyances thérapeutiques circulent dans les rangs. Mais la recherche en ostéopathie peut s’avérer être un véritable casse-tête:

-Pour les mêmes raisons que pour la kinésithérapie, Il n’y a pas de motivations particulières pour les ostéopathes pour se lancer dans la recherche. Prouver que leur thérapie est efficace ne change rien à leur pratique et quel est leur intérêt personnel à prouver qu’elle n’est pas efficace?

-Les ostéopathes qui le font et qui se lancent dans des recherches voient leurs travaux critiqués et ne seront jamais publiés dans une revue sérieuse. Car le fait qu’ils s’impliquent dans leur propre recherche en diminue considérablement la qualité et l’objectivité.

-Comme il n’y a pas ou peu de protocole en ostéopathie, chaque ostéopathe travaille de manière originale. Comment donc pouvoir tirer des généralités sur l’efficacité de l’ostéopathie? La recherche faite ne peut prouver qu’une chose: l’efficacité de l’ostéopathe qui pratiquait pendant l’étude.

-De plus pour rendre le tout encore plus facile, l’évaluation de la douleur est souvent un repère qui nous l’avons vu, est aussi variable qu’un baromètre en plein mois d’avril.

Sur le fond l’ostéopathie semble être plus scientifique que la kinésithérapie en voulant offrir un traitement adéquate à chaque patient. En effet le mal de dos de M. X n’est pas le même que le mal de dos de M.Y, par conséquent le traitement de M. X ne peut être le même que celui de M. Y.

Mais sur la forme l’absence de protocole crée forcément une grande disparité dans les traitements offerts par chaque ostéopathe. Cette grande disparité est nécessairement source de variation de qualité et d’efficacité thérapeutique.

Mais « protocolariser » l’ostéopathie ne tuerait-elle pas l’ostéopathie?

Rendre l’ostéopathie protocolaire permettrait de facilité la recherche et de minimiser du même coup les variations de diagnostic et donc de minimiser la variation de qualité de traitement entre 2 ostéopathes.

Il existe déjà des protocoles dans certaines approches ostéopathiques qui sont communément appelés « des routines ». Certains thérapeutes tels que P. Chauffour et E. Prat ont élaboré des protocoles de diagnostics et de traitements qu’ils ont nommé « le Lien Mécanique« . Tom Dummer avait développé le système de diagnostic des « 3 unités » qui est un protocole de diagnostic vertébral pelvien et thoracique. Fred Mitchell à aussi développé des méthodes de diagnostic pour traiter avec le MET. Le TOG (traitement ostéopathique globale) est aussi une sorte de protocole, car c’est toujours le même traitement (à peu de chose près) qui est effectué.

Ce sont donc ces protocoles que l’on peut tester et dont on peut évaluer l’efficacité. C’est la raison pour laquelle, quand une recherche évalue l’efficacité thérapeutique de l’ostéopathie il est souvent omis de définir le protocole utilisé pour le diagnostic et le traitement. La conclusion est « l’ostéopathie fonctionne ou pas » au lieu de dire que tel ou tel protocole fonctionne ou pas, ce qui est radicalement différent.  Si il n’y a pas de protocole, alors on évalue tout bonnement l’approche ostéopathique du ou des praticiens.

Bien sûr tendre vers un protocole unique serait dommage car nécessairement cela appauvrirait l’ostéopathie, mais il faut aussi que les ostéopathes tentent de démontrer l’efficacité thérapeutique de leur profession et cela passe par le développement de protocoles. Il est important de comprendre qu’un protocole n’est pas forcément faire « craquer » L3 pour tout les gens qui ont un mal de dos, mais ce protocole peut englober une série de tests qui vont faire tendre vers des approches et des diagnostics communs.

En conclusion

Même avec des routines d’examens et de tests, l’ostéopathie ne pourra s’affranchir de son art. L’ostéopathe sera le seul à interpréter ses sensations et qui arrivera à restituer le plus adapté des traitements.

Jusqu’à présent en s’affranchissant de protocoles, l’ostéopathie revendiquait une approche holistique et unique pour chaque patient. Cette absence de protocole lui permettait de s’affranchir de recherches sérieuses en clamant que cette thérapie ne pouvait pas être facilement être démontrable.

Il est pourtant important que les ostéopathes essaient de s’imposer à eux-mêmes leur propre protocole. Car cela leur permettrait d’être plus objectif avec leur approche, d’améliorer leur capacité de discerner ce qui fonctionne de ce qui ne fonctionne pas, et en plus cela permettrait de valider ou non scientifiquement un type d’approche ostéopathique.

Le but n’est pas de tendre vers un protocole unique mais d’avoir une thérapie qui offre de multiples protocoles efficaces. Les problèmes qui passent à travers les mailles de l’un se fera peut-être prendre par les mailles d’un autre.

C’est par l’établissement de ces protocoles que l’ostéopathie pourra faire de son mieux pour prouver son potentiel thérapeutique.

Mais reste-il encore à s’affranchir de la subjectivité de la douleur…